Voyage dans l’arménophobie: Paris-Istanbul-Ankara

Première publication : 23 avril 2012.

Par Maza Rugamba

Le voyageur qui, comme moi, a visité la Turquie, en repart les yeux éblouis. Qui ne serait pas enchanté par un voyage d’un intérêt aussi vif? Les amateurs d’exotisme culturel, avides de sensations, de folklore et de mysticisme, de récits historiques et de raffinement culinaire, de civilisations disparues et de spectacles géologiques, de paysages et de soleil, de nuits fraîches et de marches harassantes, de références à une Antiquité imaginée, reviennent de ce voyage, en vérité, enchantés, comblés, heureux, plus intelligents et instruits. Il ne leur reste plus qu’à visiter en toute innocence le Musée des civilisations anatoliennes d’Ankara, et se pâmer devant d’étonnants objets. Que de civilisations passèrent par là! L’arménienne aussi, mais elle a trépassé, il n’y a pas si longtemps. Là, attention, on marche sur des œufs et on soulève la poussière de cimetières invisibles. A chaque fois que l’envie me prenait de parler de l’Arménie de jadis, la musique s’arrêtait brusquement, les danseurs retournaient à leur table, les voiles tombaient, des nuages assombrissaient le ciel, ou bien alors l’autocar qui nous transportait vers un site de rêve, faillait tomber dans le ravin… On dût alors dénombrer des milliers de morts à chaque saison. L’industrie du tourisme en dût souffrir économiquement et au lieu des hôtels, ce dût être les hôpitaux qui dussent être remplis de malheureux touristes. Le « low cost » de nos agences est, à dire vrai, une supercherie, un tour de passe-passe, qui vide les poches et les cervelles des vacanciers en liesse plus sûrement que ceux-ci ne l’imaginent : chaque touriste en ce pays de merveilles finance par les taxes versées l’économie militaire, la répression antikurde, le négationnisme anti-arménien et autres activités peu reluisantes de l’État dit « profond » et qui cache si bien son jeu… De retour à Paris, quand je relus la presse antimémorielle, anti-arménienne, je me dis : mais c’est Vichy, diable! Mes souvenirs de voyage ont fait alors place à la réflexion suivante : Est-ce que l’arménophobie, là-bas comme ici (de moins en moins subtilement ici – lisez Jean Daniel, et les titres haineux de Libération!), ne serait pas comme une forme d’entrée de la Turquie en Europe, un partenariat fonctionnant à plein rendement? En 1940, l’Allemagne est bien rentrée en France… La Turquie, elle, s’y prend autrement : elle a déjà commis le crime et en profite sous la forme d’une industrie du tourisme post-mortem… Comment peut-on se faire avoir comme ça! Collez donc une tête de mort sur toutes leurs affiches touristiques, vous verrez la tête qu’ils feront!

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